Published on March 11, 2024

Votre sécurité d’emploi ne dépend pas des grands titres sur la récession, mais de votre capacité à décoder l’économie qui vous concerne directement.

  • Les indicateurs nationaux comme le PIB ou l’IPC sont des moyennes qui masquent d’importantes réalités régionales et sectorielles au Québec.
  • La véritable menace ou opportunité pour votre carrière se trouve dans la santé de votre secteur d’activité local et l’impact de l’inflation sur votre budget personnel.

Recommandation : Concentrez-vous sur les tendances de votre industrie et l’ajustement de votre budget personnel plutôt que de réagir au bruit médiatique anxiogène sur l’économie globale.

Chaque jour, les nouvelles économiques nous bombardent de termes anxiogènes : « récession technique », « hausse des taux », « inflation galopante ». Pour un employé du secteur privé au Québec, ces gros titres peuvent rapidement devenir une source d’angoisse. Est-ce que mon emploi est en danger ? Dois-je craindre pour mon hypothèque ? Vais-je encore devoir couper dans mon budget d’épicerie ? L’instinct premier est souvent de se préparer au pire, de freiner ses projets ou de regarder ses placements avec nervosité.

La plupart des conseils se limitent à des généralités comme “diversifier ses revenus” ou “mettre de l’argent de côté”. Si ces recommandations sont sages, elles ne répondent pas à la question fondamentale : comment interpréter ces informations pour ma propre situation ? La vérité est que l’économie québécoise est une mosaïque complexe, et une mauvaise nouvelle au niveau national n’est pas forcément une menace directe pour vous. À l’inverse, une croissance globale peut masquer des difficultés dans votre propre cour.

Mais si la clé n’était pas de prédire l’avenir, mais plutôt d’apprendre à lire les bons signaux ? Cet article propose une perspective différente. Au lieu de subir le bruit médiatique, nous allons vous donner les outils pour devenir un analyste avisé de votre propre sécurité économique. Nous décortiquerons les grands indicateurs pour en extraire ce qui est réellement pertinent pour un citoyen québécois, en distinguant les faits importants des distractions.

Ce guide vous accompagnera pour traduire les grands concepts macroéconomiques en réalités concrètes et actionnables. Vous découvrirez comment les chiffres nationaux se déclinent dans votre région, comment les utiliser à votre avantage et, surtout, comment reprendre le contrôle de votre narration économique personnelle pour naviguer cette période d’incertitude avec plus de sérénité et de confiance.

Pourquoi une hausse du PIB ne signifie pas forcément que vous êtes plus riche ?

Le Produit Intérieur Brut, ou PIB, est l’indicateur roi des nouvelles économiques. On le présente souvent comme le bulletin de santé d’un pays. S’il augmente, l’économie va bien. S’il baisse, c’est la récession qui guette. Pourtant, pour vous, cet indicateur est souvent une abstraction. Une hausse du PIB québécois ne se traduit pas automatiquement par une augmentation sur votre relevé de paie. Il faut voir le PIB comme le chiffre d’affaires global d’une immense entreprise : cela ne dit rien sur la répartition des bénéfices entre les employés.

La réalité québécoise est celle d’une économie à deux vitesses. La richesse générée n’est pas distribuée uniformément sur le territoire. Par exemple, le Panorama des régions 2024 de l’ISQ révèle des écarts saisissants : le Nord-du-Québec, porté par les projets miniers, affiche un PIB par habitant de 126 049 $, alors que la région de Lanaudière se situe à 34 584 $. Ces chiffres montrent qu’une croissance spectaculaire dans un secteur ou une région peut gonfler la moyenne nationale sans que vous en ressentiez le moindre effet si vous travaillez dans un autre domaine ou une autre localité.

Cette disparité se reflète aussi dans les revenus des ménages. Selon l’Institut de la statistique du Québec, en 2023, le revenu médian pour les familles comptant un couple était de 100 140 $, mais il chutait à 62 100 $ pour les familles monoparentales. Ainsi, avant de vous inquiéter ou de vous réjouir d’un chiffre de PIB, la bonne question à se poser est : “D’où vient cette croissance et qui en bénéficie réellement ?”. La santé économique de votre secteur d’activité et de votre région est un baromètre bien plus fiable de votre propre prospérité.

Comment la crise du logement freine-t-elle la croissance économique de votre région ?

On pense souvent à la crise du logement comme un problème personnel et social. C’est une source de stress pour trouver un toit abordable et de qualité. Cependant, son impact va bien au-delà et constitue un puissant frein au développement économique de nos régions. Lorsqu’une entreprise souhaite s’implanter ou prendre de l’expansion, elle a besoin de main-d’œuvre. Mais que se passe-t-il si les travailleurs potentiels ne trouvent tout simplement pas où se loger à proximité ?

Ce scénario n’est plus hypothétique au Québec. L’exode urbain post-pandémie a mis une pression immense sur des villes de taille moyenne, autrefois considérées comme plus accessibles. Une étude de cas frappante est celle de Drummondville et Trois-Rivières. Selon le rapport de la SCHL sur le marché locatif, ces villes affichent des taux d’inoccupation historiquement bas, respectivement 0,5% et 0,4%. Cette pénurie aiguë de logements locatifs devient un casse-tête majeur pour les employeurs locaux qui peinent à attirer et retenir les talents nécessaires à leur croissance.

Vue aérienne d'un quartier résidentiel québécois montrant le contraste entre zones développées et terrains vacants

Cette situation crée un cercle vicieux : sans logements disponibles, la main-d’œuvre ne peut pas suivre les opportunités d’emploi, ce qui limite l’expansion des entreprises et, par conséquent, la vitalité économique de toute une région. La sécurité de votre propre emploi peut donc être indirectement liée à la capacité de votre communauté à offrir des logements. Un marché immobilier tendu peut signifier que votre entreprise aura plus de mal à recruter, ce qui peut freiner ses ambitions de croissance et, à terme, sa solidité financière.

L’erreur de vendre vos placements quand les nouvelles économiques sont mauvaises (le bruit médiatique)

Lorsque les marchés boursiers chutent et que les experts débattent de l’imminence d’une récession, une réaction instinctive peut être de “sécuriser” ses placements en vendant. C’est une réaction humaine, dictée par la peur de tout perdre. Pourtant, c’est souvent la pire décision à prendre. Agir sous le coup de l’émotion face au bruit médiatique économique revient à vendre son parapluie en pleine averse parce qu’on a peur qu’il se brise.

Le débat sur la récession au Québec est l’exemple parfait de ce bruit. D’un côté, des experts comme Dalibor Stevanovic, professeur à l’UQAM, affirment clairement : “Ou l’économie est en récession, ou elle ne l’est pas. Et l’économie québécoise ne l’est pas, en récession”. Ce type de déclaration se veut rassurant et basé sur une analyse globale des données. Il souligne la résilience de certains pans de notre économie.

Pourtant, dans le même temps, d’autres signaux semblent indiquer le contraire. Des modèles prédictifs, comme ceux analysés par la Chaire en macroéconomie et prévisions de l’UQAM, estimaient la probabilité de récession à près de 90% pour le Québec en se basant sur l’inversion des courbes de rendement. Qui croire ? La réalité est que même les experts ne sont pas unanimes. Le marché, lui, a déjà intégré ces informations et ces incertitudes dans les prix. Vendre après une baisse signifie simplement cristalliser ses pertes et manquer le rebond potentiel qui suit souvent les périodes de pessimisme.

Batteries, IA, Aluminium vert : quels secteurs vont tirer l’économie québécoise d’ici 2030 ?

Au milieu des discussions sur le ralentissement économique, il est crucial de ne pas perdre de vue les puissants moteurs de croissance qui se mettent en place. La sécurité de votre emploi ne dépend pas seulement de l’économie d’aujourd’hui, mais aussi de votre positionnement par rapport à l’économie de demain. Le Québec est au cœur d’une transformation majeure, portée par des secteurs stratégiques qui promettent de remodeler son paysage industriel.

La filière des batteries, l’intelligence artificielle (IA) et la production d’aluminium vert ne sont pas de simples mots à la mode ; ce sont les piliers d’une nouvelle économie. Ces domaines attirent des milliards en investissements et créent des emplois hautement qualifiés. La présence de ces industries est déjà visible dans les chiffres. Selon le dernier Panorama des régions de l’ISQ, les seules régions ayant affiché une croissance de leur PIB en 2023 sont la Côte-Nord, le Nord-du-Québec et l’Abitibi-Témiscamingue, largement portées par l’activité liée aux ressources naturelles et à l’énergie.

La Côte-Nord illustre le paradoxe des régions ressources : 4e rang provincial pour le revenu médian familial (106 680$) mais seule région en déclin démographique, passant de 90 171 citoyens en 2021 à 89 846 en 2024, soulevant des questions sur la durabilité du modèle économique basé sur les ressources naturelles.

– Macotenord.com

Ce paradoxe montre que la croissance brute ne fait pas tout. Cependant, pour un employé, la question clé est : “Mon secteur est-il en croissance, en stagnation ou en déclin ?”. Travailler dans la logistique liée à la filière batterie, dans une firme d’IA à Montréal ou pour un sous-traitant de l’industrie de l’aluminium vert offre une sécurité d’emploi intrinsèquement plus élevée que dans un secteur mature confronté à une compétition mondiale féroce. S’informer sur ces tendances n’est pas une distraction, c’est une démarche stratégique pour évaluer la pérennité de sa propre carrière.

La dette du Québec : vos impôts vont-ils augmenter pour payer les déficits ?

Le mot “déficit” est un autre de ces termes économiques qui peuvent sembler menaçants. Lorsqu’on entend que le gouvernement dépense plus qu’il ne perçoit de revenus, la conclusion logique semble être une future hausse d’impôts pour combler le trou. C’est une préoccupation légitime pour tout contribuable qui voit déjà une part importante de son salaire partir en prélèvements.

La situation actuelle au Québec alimente cette inquiétude. L’économie a connu trois trimestres consécutifs de légère baisse, une situation que beaucoup qualifieraient de récession technique. Pourtant, la communication gouvernementale se veut rassurante, à l’image du ministre des Finances, Eric Girard, qui maintient que le Québec n’est pas en récession. Ce décalage entre les chiffres et le discours peut créer de la confusion.

Pendant ce temps, les faits sont là : le budget 2024-2025 annonce un déficit de 11 milliards de dollars, un chiffre colossal. Alors, faut-il s’attendre à voir sa feuille d’impôt s’alourdir ? Pas nécessairement, ou du moins, pas automatiquement. Un gouvernement dispose de plusieurs outils avant de recourir à une hausse généralisée des impôts. Il peut :

  • Ralentir la croissance des dépenses : Réviser certains programmes ou investissements.
  • Compter sur la croissance économique : Un retour de la croissance augmente les revenus fiscaux sans changer les taux.
  • Utiliser la dette : Emprunter pour financer le déficit, en pariant sur une capacité de remboursement future meilleure.

Une hausse d’impôts est souvent une solution de dernier recours, car elle est politiquement impopulaire et peut freiner la consommation. La menace est donc réelle, mais elle n’est pas immédiate. La véritable question est de savoir si le gouvernement réussira à relancer la croissance économique pour que les revenus de l’État augmentent naturellement.

Comment utiliser les chiffres de l’inflation pour justifier votre demande d’augmentation ?

L’inflation a un impact très direct sur votre pouvoir d’achat : si votre salaire n’augmente pas au même rythme, vous vous appauvrissez réellement chaque année. La période récente a été particulièrement difficile, avec un coût de la vie qui a grimpé en flèche. Savoir utiliser les données sur l’inflation lors de votre évaluation annuelle peut transformer une simple demande en une argumentation solide et factuelle.

Il ne s’agit pas simplement de dire : “La vie coûte plus cher, je veux plus d’argent”. L’approche doit être plus stratégique. Il faut contextualiser votre demande en montrant que vous comprenez les réalités économiques. Par exemple, vous pouvez rappeler que, selon le Budget fédéral 2024, l’inflation est passée de 8,1% en juin 2022 à des niveaux plus maîtrisés. Cela montre que votre demande ne se base pas sur un pic temporaire, mais sur une érosion durable de votre pouvoir d’achat sur plusieurs années.

Deux professionnels en discussion dans une salle de réunion moderne avec documents sur la table

Votre argumentation doit lier l’inflation à votre valeur pour l’entreprise. L’objectif n’est pas que l’entreprise “compense” l’inflation par charité, mais qu’elle ajuste votre rémunération pour qu’elle reste compétitive sur le marché du travail. Un employé dont le salaire stagne alors que le coût de la vie augmente devient plus susceptible d’écouter les offres de la concurrence. Maintenir votre pouvoir d’achat est donc aussi une stratégie de rétention pour votre employeur. Préparez votre discussion en vous basant non seulement sur l’IPC, mais aussi sur les salaires moyens pour votre poste et votre secteur.

Votre plan d’action pour négocier avec les chiffres

  1. Points de contact : Listez tous les moments où l’inflation a impacté votre budget (épicerie, essence, logement) pour personnaliser votre argumentaire.
  2. Collecte : Rassemblez les chiffres officiels de l’IPC des 24 derniers mois et comparez-les aux augmentations que vous avez reçues.
  3. Cohérence : Confrontez ces chiffres à la performance de votre entreprise. Si elle a eu de bons résultats, votre demande d’ajustement est encore plus légitime.
  4. Mémorabilité/émotion : Préparez une phrase choc mais professionnelle qui résume l’impact sur vous (ex: “Mon salaire actuel ne me permet plus le même niveau d’engagement qu’avant”).
  5. Plan d’intégration : Présentez votre demande non pas comme une exigence, mais comme une discussion sur la manière de maintenir votre motivation et votre fidélité à long terme.

Taux variable à paiements fixes : quand la banque va-t-elle augmenter votre mensualité de force ?

Pour de nombreux propriétaires québécois ayant opté pour une hypothèque à taux variable et à paiements fixes, les dernières années ont été une source d’angoisse silencieuse. Alors que le taux directeur de la Banque du Canada grimpait, leur versement mensuel, lui, restait stable. Un confort apparent qui cache une réalité comptable implacable : la part du paiement servant à rembourser le capital fondait comme neige au soleil, tandis que la part des intérêts explosait.

Le véritable danger survient lorsque l’on atteint le “point de déclenchement” (trigger point). C’est le moment où le paiement mensuel ne couvre même plus la totalité des intérêts dus. À cet instant, non seulement vous ne remboursez plus un sou de votre maison, mais votre dette commence même à augmenter chaque mois. C’est une situation intenable que votre institution financière ne laissera pas perdurer. C’est à ce moment précis que la banque vous contactera pour augmenter votre mensualité de force, parfois de manière très significative, afin de couvrir à nouveau les intérêts.

Pour anticiper ce choc, il est essentiel de suivre les prévisions économiques qui influencent le taux directeur. Un retour à la normale est attendu, mais le calendrier est clé. Le tableau suivant, basé sur les prévisions du budget fédéral, donne une idée de la trajectoire attendue.

Comparaison des taux d’intérêt et prévisions économiques
Indicateur 2023 2024 (prévu) 2025 (prévu)
Taux directeur moyen 4,8% 4,5% 3,1%
Croissance PIB Canada 1,1% 0,7% 1,9%
Taux de chômage 5,0% 6,3% 6,2%
Inflation (IPC) 3,9% 2,5% 2,0%

La baisse prévue du taux directeur en 2025 devrait apporter un soulagement. Comme le notait Hendrix Vachon, économiste principal chez Desjardins, une reprise est attendue. Cependant, si votre point de déclenchement est proche, il est plus prudent de contacter votre banque dès maintenant pour discuter d’une augmentation volontaire et progressive de vos paiements, plutôt que de subir une hausse brutale et imposée.

À retenir

  • Les grands indicateurs comme le PIB et l’IPC sont des moyennes qui ne reflètent pas forcément votre réalité économique personnelle ou régionale au Québec.
  • La sécurité d’emploi est davantage liée à la santé de votre secteur d’activité spécifique (ex: IA, batteries) et à la vitalité économique de votre région qu’aux manchettes nationales.
  • L’inflation et les taux d’intérêt ne sont pas que des menaces; ce sont aussi des données que vous pouvez utiliser de manière proactive pour négocier votre salaire ou gérer votre hypothèque.

Comment l’inflation alimentaire réelle diffère-t-elle de l’IPC officiel et comment ajuster votre épicerie ?

C’est une frustration partagée par tous les Québécois : l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) annonce une inflation de 2,5%, mais votre facture d’épicerie, elle, a bondi de 15%. Cet écart n’est pas une illusion. L’IPC est un panier moyen qui inclut tout, de l’achat d’une voiture au coût d’un service de streaming. Or, les produits alimentaires, et particulièrement les fruits, les légumes et la viande, ont subi des hausses bien supérieures à la moyenne, créant ce qu’on appelle l’inflation ressentie.

Cette pression sur le budget alimentaire est aggravée par d’autres postes de dépenses incompressibles, notamment le logement. Les données du recensement de 2021 montraient déjà que 25% des locataires québécois consacrent 30% ou plus de leur revenu aux frais de logement. Lorsque le loyer augmente fortement, la seule variable d’ajustement pour de nombreux ménages devient le panier d’épicerie.

Une étude percutante de l’IRIS illustre ce lien direct : la hausse des loyers force les ménages à couper dans leurs dépenses essentielles. Le résultat est tragique et concret, avec une augmentation de 30% de la fréquentation des banques alimentaires du Québec, qui accueillent désormais des travailleurs à temps plein incapables de joindre les deux bouts. Face à cette réalité, ajuster son épicerie devient une nécessité. Cela passe par des stratégies concrètes :

  • Planifier les repas : Établir un menu pour la semaine permet d’acheter uniquement le nécessaire et de réduire le gaspillage.
  • Privilégier les marques maison : Elles sont souvent de qualité équivalente aux grandes marques, mais à un coût bien inférieur.
  • Cuisiner en grande quantité : Préparer des plats qui se congèlent bien permet de profiter des rabais sur les gros formats.
  • Consulter les circulaires : Adapter ses repas en fonction des spéciaux de la semaine est la stratégie la plus efficace pour réduire sa facture.

Reconnaître l’écart entre l’IPC et votre réalité est la première étape. La seconde est d’adopter des réflexes proactifs pour défendre votre pouvoir d’achat là où ça compte le plus : dans votre assiette.

Written by Marc-André Gagnon, Planificateur financier (Pl. Fin.) et fiscaliste avec 15 ans d'expérience au sein de grandes institutions financières québécoises. Expert en optimisation fiscale, gestion de patrimoine et stratégies de retraite pour les particuliers et les PME.